Apiluz : bilan des 3 campagnes et un espoir de pérennisation

Après trois années de déploiement sur sept départements producteurs de luzerne, l’heure est au bilan pour Apiluz . Le suivi écologique valide l’intérêt des bandes de luzerne non fauchées pour les pollinisateurs et les auxiliaires. Apiluz a également rendu fiers tous les producteurs qui y ont participé. Un bilan positif qui a poussé la filière luzerne à trouver des solutions financières pour pérenniser le projet. Des fonds opérationnels européens et des fonds des coopératives devraient être mobilisés.

Validé scientifiquement via une expérimentation de 3 ans sur la commune de Beine Nauroy de 2014 à 2016, le projet Apiluz a consisté à maintenir dans les parcelles de luzerne, des bandes non fauchées (BNF) de trois mètres de large. Objectif premier : laisser la luzerne monter à fleurs pour fournir aux pollinisateurs la ressource alimentaire qui leur manque pendant la saison de récolte des cultures (juin-juillet) et améliorer leur état sanitaire. S’y sont ajoutés d’autres enjeux : augmenter la production de miel pour les apiculteurs, évaluer scientifiquement les résultats via un suivi entomologique et botanique, créer une synergie entre les filières de luzerne, betteraves et céréales et contribuer à la trame verte en Champagne Ardenne.

Une mobilisation sans précédent

Sur les campagnes 2021, 2022 et 2023, le projet Apiluz a impliqué de nombreux partenaires techniques, opérationnels et financiers* dont les six coopératives de déshydratation de luzerne du territoire et 2 400 agriculteurs qui ont aménagé leur récolte pour laisser 1 750 à 1 900 km de BNF sur sept départements (Marne, Aube, Ardennes, Meuse, Aisne, Yonne et Seine-et-Marne). « Plus de 26 000 ha de luzerne ont été concernés par le projet, démontrant la volonté et la capacité des acteurs économiques à apporter des solutions aux enjeux de société tels que la préservation de la biodiversité », souligne Eric Masset, président de La Coopération agricole-Luzerne de France.

 *Retrouvez tous les financeurs du projet 

Un intérêt pour les pollinisateurs et les auxiliaires

Le suivi écologique réalisé par Réseau Biodiversité pour les Abeilles (RBA) sur les trois années a permis de constater une présence des abeilles domestiques variable en juin sur les BNF en fonction de la nectarification de la luzerne (liée à la climatologie) et de la ressource mellifère présente aux alentours. L’intérêt des BNF est donc confirmé en fonction de la climatologie de l’année pour l’abeille domestique (elle comble la période de disette) mais également pour certaines abeilles sauvages, surtout les bourdons en juin.

Le suivi des auxiliaires en 2023 a aussi démontré le grand intérêt des BNF pour le développement et la reproduction des auxiliaires de culture. Une forte présence d’auxiliaires de culture (syrphes, coccinelles et chrysopes) a en effet été observée sur toute la campagne 2023 avec des signes de reproduction ainsi qu’une présence importante de momies de pucerons (pucerons parasités) en début et en fin de saison, avec présence d’hyménoptères parasitoïdes (petites guêpes).

« La luzerne en Champagne pourrait ainsi constituer un habitat « témoin » permettant de mesurer l’abondance des communautés des pollinisateurs d’année en année, l’amélioration des corridors écologiques à l’échelle des paysages et l’intensité des disettes alimentaires en milieu agricole, souligne Clara Amy de RBA. Ce suivi écologique a apporté des réponses mais a aussi suscité de nombreuses questions. D’où l’intérêt de poursuivre un tel suivi si Apiluz se pérennise. »

Un intérêt confirmé par les apiculteurs

« Avant 2021, j’avais constaté que mes abeilles manquaient de nourriture sur juin-juillet-août, explique Ludovic Wisniewski, apiculteur à Nogent l’Abbesse (Marne). Elles avaient faim et la production de miel était faible. Avec l’instauration des BNF à partir de 2021, il y a eu beaucoup de BNF en fleurs en juin-juillet qui ont attiré les abeilles. J’ai eu beaucoup plus de miel de luzerne sauf en 2022 où la météo n’a pas été propice aux abeilles. Ces BNF embellissent également nos paysages : cela met de la couleur au côté des vigne ! »

« S’il était difficile pour moi de quantifier l’impact des BNF sur la production de miel de 2021 à 2023, visuellement j’ai constaté que les BNF les attirent : ça bourdonne en effet beaucoup au-dessus de ces bandes de luzerne, souligne Aurélie Gérard, apicultrice à Somme-Suippe. Je souhaite que le projet Apiluz perdure : plus il y aura de fleurs dans la plaine et mieux ça sera pour les pollinisateurs. »

Un élément de la trame verte

En prenant un peu de hauteur et en regardant la disposition des BNF sur une commune comme celle de Beine-Nauroy (ci-contre), on s’aperçoit que les BNF contribuent à établir des continuités écologiques (corridors) dans la plaine (entre deux bois par exemple). Composés d’habitats naturels, semi-naturels et interstitiels en pas japonais ou en linéaire, les corridors écologiques permettent aux espèces de se nourrir, de migrer et de se reproduire à l’échelle du paysage.

 

 

Une fierté pour les producteurs

« Je l’ai fait pour mettre de la biodiversité dans la grande plaine champenoise », explique Olivier Gérard, agriculteur à Somme Suippe et adhérent à Luzeal, qui a participé au projet Apiluz en laissant une BNF de 750 m de long. La perte de production est compensée partiellement par la coopérative. Il y a donc un coût pour moi. Mais je l’ai fait pour rendre un service environnemental à la société. » Les panneaux expliquant le projet, implantés près des BNF, lui ont également permis d’échanger sur le dispositif notamment avec des citadins, avec des retours très positifs. Au final, Olivier Gérard est fier d’avoir réalisé une action en faveur de la biodiversité, mais également de montrer une image positive de son métier d’agriculteur. « J’ai apporté ma pierre à l’édifice », conclut l’agriculteur prêt à participer à nouveau au projet Apiluz pour les années à venir.


Perspectives : des fonds opérationnels européens pourraient aider à pérenniser Apiluz

L’ensemble des acteurs du territoire remercient Lidl, les fondations Avril et Crédit agricole, Ceresia, Cristal Union, les coopératives de déshydratation de luzerne, le Département de la Marne et la Région GE pour le soutien financier du projet Apiluz sur la période 2021-2023.

« Il reste beaucoup à explorer au niveau de l’impact des BNF sur les pollinisateurs et les auxiliaires, souligne Hervé Lapie, président de Symbiose. Les moyens nécessaires dépassant ceux de Symbiose, il nous faudrait l’aide de structures scientifiques comme l’Inrae pour poursuivre les investigations. L’objectif de Symbiose est aussi d’initier des projets, de les développer jusqu’à un certain stade pour qu’ensuite les acteurs du territoire s’en emparent et les pérennisent. »

Les financeurs* du projet (dont Lidl, financeur majoritaire) s’étant engagés pour trois ans (2021 à 2023), La Coopération agricole-Luzerne de France s’est mobilisée pour que des fonds opérationnels soient accessibles aux organisations de producteurs reconnues dans le secteur des fourrages séchés afin de mener des actions favorisant le maintien de la biodiversité. Constitués de fonds propres des coopératives et de soutiens européens, ils peuvent être mobilisés au niveau régional par France luzerne, reconnue organisation de producteurs en décembre 2023. France Luzerne déposera son programme opérationnel courant mai. Le coût pour financer la pérennité du projet est de 300 000 €/an.