Dessiner une trame verte à l’échelle d’un territoire : des agriculteurs s’y engagent !

Des visites d’observations sur l’évolution des bords de chemins sont réalisées avec les agriculteurs et techniciens.

Début 2016, un groupe de 12 agriculteurs se réunissait au sein de l’association « ABAT » (Agriculture et Biodiversité Autour de Tilloy). Situés sur la commune de Tilloy-et-Bellay et les communes limitrophes (Somme-Vesle, Saint-Rémy/Bussy) ces agriculteurs se mobilisent sur l’enjeu de la qualité de l’eau, lié à la présence du bassin d’alimentation de captage dans la commune, et l’enjeu de restaurer des continuités écologiques sur ce territoire très impacté.
Pour accompagner ces exploitants sur ces problématiques de biodiversité, l’association Symbiose, pour des paysages de biodiversité, leur met à disposition des compétences techniques, scientifiques et généralistes.
Chambre d’Agriculture de la Marne, Fédération Départementale des Chasseurs, Réseau Biodiversité pour les Abeilles, Miroir Environnement, Adasea, viennent contribuer à la réussite de leurs objectifs.
Ce projet est encouragé par le soutien financier de la DREAL Grand Est.

Connaître l’existant, pour définir les actions pertinentes.

Cartographie des éléments favorable à la biodiversité (bois, buissons, bords de chemins, délaissés, haies…) sur le territoire d’étude.

Caractérisé par une absence d’éléments structurants du paysage, et par la présence d’un linéaire important de bords de chemins, se poser la question en premier lieu de la qualité biodiversité de l’existant.
Pour ce faire, un diagnostic du territoire a été réalisé et a permis de recenser les aménagements favorables à la biodiversité déjà présents, de qualifier la qualité des bords de chemins au regard d’indicateurs de pratiques agricoles et d’observations des différents taxons. Des inventaires exhaustifs entomofaunes et floristiques ont constitué cet état des lieux initial. C’est en projetant ces informations sur une base cartographique que se précisent et apparaissent les atouts et faiblesses du territoire.
Au regard de la diversité et richesse de la biodiversité constatée dans l’élément bord de chemin, la première stratégie sur ce territoire est d’optimiser cet aménagement par des semis performants et des modes de gestion raisonnés.
Des bords de chemin ont été re-semés par l’intermédiaire du prototype « Sem’Obord » réalisé par la Fédération des Chasseurs de la Marne en collaboration a avec le lycée de Somme-Suippe.

La gestion des bords de chemin : un enjeu majeur

Le Sem’Obord a permis re-semé des pieds de haies à partir d’un mélange de 50% de graminées, 35% de légumineuses et 15% de jachères fleuries.

Fort de son linéaire de bords de chemin, l’accent a été mis sur des tests de gestion afin d’observer et d’analyser leur impact sur la biodiversité.
17 km sont ainsi en expérimentation sur le territoire. Différentes méthodes sont retenues et mises en œuvre selon le « facies » initial du bord de chemin et le choix de l’exploitant.
Le résultat de ces modes de gestion devra être une base de connaissance et dons de capacité à décider de l’action à mener selon l’enjeu biodiversité à considérer (gite, gagnage, reproduction, circulation des animaux, développement de la flore…).
Ces connaissances issues des expérimentations devront être traduites sur un outil pouvant être utilisé directement par un exploitant.

Diversifier le milieu en éléments favorables à la biodiversité

Si les bords de chemins constituent un élément majeur sur le territoire d’étude de Tilloy et Bellay, la trame verte ne peut se réduire à celui-ci et nécessite de multiplier les aménagements.
C’est ainsi que des bandes de luzerne fleuries, expérimentées dans le cadre d’Apiluz, apparaissent dans le paysage, que des bandes intra-parcellaire ont été mis en place au printemps. Tout d’abord, des bandes de jachère mellifère seront également implantés, puis, après la moisson, des CIPAN multi-espèces seront maintenues jusqu’à la floraison.
Ce projet de territoire ne se limite pas à l’espace agricole. En effet, le Département collabore avec les acteurs du projet pour tester des pratiques de gestion afin d’optimiser la performance fonctionnelle de la trame verte.

Agrapi : Conjuguer agriculture et apiculture en espace de grande culture

Sur le territoire de Tilloy-et-Bellay, Symbiose s’est associée depuis 2017 au projet Agrapi déjà mené dans d’autres régions pour étudier la vie d’un rucher en territoires agricoles. Ainsi des paramètres clés de la vie du rucher sont mesurés comme le poids des ruches, la quantité et la diversité du pollen récolté et l’exposition aux résidus de produits phytosanitaires. Parallèlement, l’environnement du rucher est également étudié sur un rayon de 3 km (soit environ 3000 ha) pour connaitre le potentiel en nectar et pollen dans le périmètre immédiat du rucher.
Sur le site de Tilloy-et-Bellay pour l’année 2017, 70 % du territoire n’a aucun intérêt pour les abeilles car ce sont des surfaces cultivées en céréales (blé, orge), betteraves et pommes de terre. Les principales surfaces utiles aux pollinisateurs sont en premier lieu le colza, puis la luzerne, le pois, l’œillette, le chanvre et les espaces semi-naturels. Malgré en apparence une faible disponibilité de ressource le rucher suivi a bien fonctionné et aucune mortalité de ruche n’a été constatée durant la période hivernale qui a suivi. En termes de diversité de pollen la période critique pour les abeilles se situe fin juin et juillet car de nombreuses espèces sauvages et cultivées ne sont plus en fleurs, ainsi que fin septembre pour pouvoir constituer des réserves pour l’hiver.
Sur l’observation des résidus de produits phytosanitaires, des molécules utilisés dans les cultures adjacentes ont été identifiées dans des analyses de pollen mais à des concentrations de l’ordre de 10 000 fois à 1million de fois inférieures à la DL 50 (Dose Létale pour 50 % des individus).
En conclusion pour cette première année de suivi, les cultures ont une importance majeure dans la nutrition des abeilles, la réalisation de CIPAN fleurie peut répondre à un besoin en fin de saison et une gestion adaptée des délaissés, bords de chemins, voir l’implantation de bandes de jachères fleuries peut répondre à une période de disette en début d’été (mi-juin et juillet).

 

Interview Jean-Marie Delanery, Agriculteur et Président du GIEE ABAT

Pourquoi avoir constitué le GIEE « ABAT » ?

Tout d’abord, ce fut pour formaliser administrativement notre engagement, faire un lien entre le GIEE et le projet de territoire Trames vertes proposé par Symbiose et ainsi mettre en place l’accompagnement de la Chambre d’Agriculture de la Marne et des autres partenaires.
Ensuite, cela nous a permis d’étendre le périmètre sur les communes voisines de Saint Remy sur Bussy et Somme Vesle.
Enfin, ABAT est une association facilitant l’échange entre agriculteur, apiculteurs et chasseurs sur un thème différent et passionnant, celui de la biodiversité.

Que vous apporte cette gestion de la biodiversité pour votre exploitation ? Quelle est votre motivation en tant qu’agriculteur ?

C’est un regard différent, une observation détaillée de la faune et la flore. L’approche de la biodiversité se fait comme pour une culture classique de l’exploitation.
Je me suis remis en cause sur les aménagements existants, j’ai aussi créé de nouvelles implantations (bandes enherbées, jachère apicole, bande de phacelie intra-parcellaire…).
Je m’interroge sur les dates de broyage les plus appropriées en tenant compte du type de parcellaire et des adventices. Les bords de chemin sont constitués de fleurs et sont des espaces accueillants pour les auxiliaires et les abeilles.
Nous testons, observons et nous adaptons nos pratiques avec la contrainte de la météo qui nous réserve des bonnes ou mauvaises surprises ! ».

 

Interview Sylvain Duthoit, Conseiller à la Chambre d’Agriculture de la Marne

Comment travaillez-vous avec les agriculteurs pour la mise en place et gestion d’aménagement (bords de chemin, bande intra-parcellaire …) ?

La première étape est de sensibiliser les agriculteurs à la présence de biodiversité sur leur territoire, que le bord de chemin peut être riche. Il peut même héberger des auxiliaires capables de limiter la présence des ravageurs dans les parcelles. Nous avons mis en place des zones de retard de broyage pour monter l’absence de salissement des parcelles quand les bordures de chemin sont en bon état (présence rare d’adventice, présence de graminées associés à les légumineuse ou à un cortège floristique varié). Lorsque le plan d’action est validé, le transfert se fait rapidement sur l’ensemble de l’exploitation car les agriculteurs ne souhaitent atteler  plusieurs fois le broyeur.

Quel outil souhaitez-vous réaliser pour évaluer ce plan de gestion des aménagements ?

En concertation avec plusieurs spécialistes (Avifaune, pollinisateur, biodiversité fonctionnelle), nous souhaitons proposer une grille d’évaluation multifactorielle pour quantifier les modifications de pratiques des bords de chemin ou des aménagements existant. Cette grille sera utilisée directement avec les agriculteurs dans leurs choix de modes de gestion. Dans certaines situations, nous pourrons proposer la création de nouveaux aménagements sur le territoire afin de densifier la trame verte.

Quelles sont les conditions de réussite, d’après vous de ce projet ?

C’est une nouvelle compétence que l’on aborde avec les exploitants. Il faut comprendre les attentes des écologues, intégrer les contraintes des agricultures. La recette : une bonne dose de motivation, de l’écoute entre le monde agricole et le monde de l’écologie et l’envie d’avancer. La particularité du projet est de chercher à emmener l’ensemble des agriculteurs sur un territoire défini.